En 2005, Fabien m'a demandé d'écrire un texte sur The Sixth Sense pour son site Internet. Comme je ne
suis pas sûr de pouvoir dire tellement mieux, je me permets de le reproduire ici, quasi à l'identique (oui, c'est
aussi parce que j'ai un peu la flemme d'écrire autre chose...)
8 janvier 2000.
Un petit visage blafard imprime en grand large sa frayeur sur la toile. C'est un garçon de huit ans. Étendu sur
un lit d'hôpital, la couverture maladroitement ramenée jusqu'au menton, il hésite, les yeux brillant de larmes
qu'il contient à grand-peine. Sa respiration se fait plus lourde, ses lèvres tremblent, il rassemble tout son
courage…
« I see dead people… »
Autour de moi, pas un bruit. Pourtant la salle est comble. Dans l'ombre d'un Bruce Willis méconnaissable, cinq
ou six cents personnes se pressent ensemble au chevet de Haley Joel Osment, bouleversant Cole du
Sixième Sens de M. Night Shyamalan ; cinq ou six cents personnes, gagnées par une émotion impossible à
contenir, sont toutes en train de tomber dans le même piège, l'un des plus habiles jamais vus au cinéma.
Un enfant de huit ans nous explique clairement qu'il manque un sens – le sixième, évidemment – à ce que
nous croyons voir, comprendre et ressentir, et il n'y aura personne pour s'en douter avant la scène finale !
C'est là tout le miracle, et tout le paradoxe de Sixième Sens. À la fois prodigieux film d'auteur et mécanique
scénaristique implacable, bouleversant chef d'œuvre et réjouissante manipulation de l'esprit et des sens.
Jailli de nulle part, un jeune réalisateur atypique ébranle les certitudes de millions de spectateurs à travers le
monde et leur fait croire aux fantômes. Tout en leur racontant trois merveilleuses histoires d'amour : celle
d'un homme pour sa femme, au-delà des frontières du visible ; celle d'une mère pour son fils, au-delà des
rumeurs et de toute inquiétude ; celle d'un homme dévoué pour un enfant perdu.
L'idée de faire de Sixième Sens un projet musical à la hauteur des émotions que le film m'a procurées m'est
venue très vite, dès l'an 2000 (après avoir vu le film quatre fois en salle…) Le plan initial, composé de dix-huit
titres, a été établi à cette époque-là. Seulement, bien que sachant très clairement ce que je voulais faire de
cet album, j'ai vite senti que je ne serais pas à la hauteur. Seul, en tout cas, je n'y arriverais jamais.
Solliciter la collaboration de Fabien pour ce projet s'est imposé comme une évidence. D'abord, parce que je le
savais aussi remué par le film de Shyamalan que je l'étais – de ce point de vue, nous étions déjà sur la
même longueur d'onde, sans aucun doute. Ensuite, parce que nous envisagions depuis longtemps, au moins
à mots couverts, de travailler ensemble sur un projet commun ; Sixième Sens, à lui seul, était le thème idéal
pour une rencontre de nos styles pourtant si différents.
J'avais douze ans lorsque j'ai rencontré Fabien. Il a été le premier à qui j'ai fait écouter mes balbutiements
musicaux inopportunément baptisés « compositions » (il m'a pardonné depuis.) Nous avons fait ensemble
nos premières armes en public. Tout au long de ces années, nous avons échangé nos créations, grandi
ensemble, progressé ensemble, pour atteindre un niveau d'inventivité et de recherche musicale dont vous
jugerez dans The Sixth Sense (croyez-moi sur parole si je vous dis que, pour lui comme pour moi, il y a eu
une sacrée évolution !)
Il nous a fallu cinq ans pour mener à bien notre projet. Cinq années durant lesquelles nous avons accompli,
chacun de notre côté, chacun à notre façon, fidèles à nos univers respectifs, différents voyages musicaux,
littéraires, culturels, humains. Fidèles à nos univers respectifs, nous le sommes restés dans The Sixth
Sense, tout en nous autorisant réciproquement à rendre visite au monde de l'autre.
Pour arriver à ce résultat pour le moins singulier, il y eut des voyages en 4L, des séjours dans une maison de
campagne à l'affluent public arachnéen, des tentatives d'imitation navrantes de Haley, Bruce, Toni ou Olivia
dans des jardins remplis de cerisiers, des réunions de travail indisciplinées, d'interminables discussions
téléphoniques absurdes dont nous avons le secret, d'innombrables écoutes de la bande originale
(magnifique) de James Newton Howard, des visionnages répétés du DVD du film, des arrêts sur image, des
gribouillages intempestifs de thèmes sur des partitions froissées, des doutes, des certitudes, des câbles
électriques au milieu du chemin, des ordinateurs brûlants à une heure du matin, de la patience, de
l'impatience, des improvisations géniales, des tâtonnements pathétiques, de la poussière sur les claviers
abandonnés, des « Et toi, t'en es où ? » et des « Si je termine avant 2012, ce sera un miracle »…
Et pour finir, il y a ce disque.
De la musique jouée avec envie et humilité. Des rêves et des souvenirs de celluloïd. Deux personnalités au
service d'une émotion commune.
Peut-être pas grand-chose, en somme. Rien qui changera le monde. Nous avons juste l'espoir d'avoir su
traduire, par ces quelques notes, à quel point Sixième Sens a changé nos vies et notre perception du monde.
Si écouter notre musique vous procure quelques frissons, vous donne envie de (re)voir le film de M. Night
Shyamalan, vous fait sourire, tendre l'oreille ou pleurer un peu, alors nous aurons réussi notre pari.
De toute manière, à nous, il restera le souvenir d'une grande aventure. Musicale. Amicale.
Humaine.